L’installation comme Neurologue et le Mariage civil à Wandsbeck
Dix jours auparavant, Freud avait en effet emménagé dans cet appartement, situé juste derrière l’Hôtel de Ville de Vienne. L’ameublement de cette location semblait lui convenir, et il ne restait plus à Freud qu’à se procurer le traditionnel divan de rigueur à l’époque pour procéder aux examens médicaux, à poser sur la porte cochère une plaque de verre noire, sur laquelle le mot médecin se détacherait en lettres d’or et, enfin, à envoyer 200 cartes de visite à ses différents confrères viennois.
Cinq mois après, le 13 septembre 1886, Freud se marie civilement à l’Hôtel de Ville de Wandsbeck. Jones nous dépeint un Freud "élégant et robuste" [2], sous des "traits réguliers et des yeux noirs brillants". Il mesure 1, 69 m et pèse 57 kg.
Dans ce premier appartement, naîtront successivement les 16 octobre 1887, 7 décembre 1889 et 19 février 1891, Mathilde, Jean-Martin et Olivier Freud. Ce n’est qu’en août 1891, l’appartement étant devenu trop petit, que Freud déménagera pour emmener sa famille au désormais célèbre 19, de la Berggasse, où il passera quarante-sept années de sa vie. Jones précise d’ailleurs que "le loyer […] en était moins élevé" [3]. Un an plus tard, Freud louera trois pièces supplémentaires au rez-de-chaussée de l’immeuble, où il y installera son bureau de travail, sa salle d’attente et son cabinet de consultation. Les trois enfants qui naîtront dans ce nouvel appartement les 6 avril 1892, 12 avril 1893 et 3 décembre 1895, se prénommeront : Ernst, Sophie et Anna Freud.
En cette année 1886, tout porte à penser que, selon l’expression de Jones, "Freud avait fini par atteindre le havre de bonheur auquel il aspirait depuis si longtemps" [4]. Il n’en était rien.
Si, à trente-cinq ans, " tous ces travaux auraient suffi à faire considérer Freud comme un neurologue de premier ordre " [5], plusieurs ombres pouvaient être néanmoins porté à ce tableau : l’argent, la confiance dans sa pratique et, surtout, ce désir de savoir après lequel Freud courait toujours. Le 9 septembre 1883, Freud avait écrit à Martha : "Mon ambition sera satisfaite si je parviens, au cours d’une longue existence, à avoir une notion de ce qu’est le monde " [6]. Ce désir n’était pas encore satisfait.
Du strict point de vu financier d’abord, et comme Jones le souligne, " Freud ne parvint à sortir de cette affreuse pauvreté qu’au bout de plusieurs années et, entre 1890 et 1900, bien des passages de ses lettres à Fliess montrent qu’il se demande avec angoisse comment nouer les deux bouts " [7]. Freud le précise lui-même dans son autobiographie : " Dans la période de 1886 à 1891, […] j’étais accaparé par l’obligation de me faire une place dans ma nouvelle profession et d’assurer mon existence matérielle ainsi que celle de ma famille qui s’accroissait rapidement " [8]. Il faut à ce titre rappeler avec Jones, que " Freud avait à sa charge non seulement sa femme et ses enfants, mais aussi de nombreux parents qu’il aidait beaucoup ". Le nombre de parents dont Freud devait assurer l’existence s’éleva jusqu’à une bonne douzaine de personnes à la fin de la décennie 1890 [9].
D’un point de vue plus professionnel, la majeure partie de sa clientèle lui était envoyée par Breuer, son ami le plus proche, dont la femme avait tenu à fixer elle-même la plaque de médecin du premier cabinet de Freud. Freud avait rencontré Joseph Breuer, quinze ans plus tôt, à l’Institut de physiologie d’Ernst Brücke. Joseph Breuer était de quatorze ans son aîné. C’était un médecin reconnu et réputé non seulement à Vienne, mais également partout en Allemagne et, surtout, un homme très cultivé qui partageait avec Freud une véritable passion pour Gœthe. Breuer avait lui-même été Maître de Conférence à la Faculté de Médecine de Vienne en 1868, soit dix-sept ans avant Freud, mais lorsque à l’époque on lui proposa de devenir professeur, il avait préféré refuser pour se consacrer à sa riche clientèle privée.
Ainsi, lorsque Freud s’installa, Breuer n’hésita pas à aider son jeune Mentor, financièrement d’abord, ce qu’il avait du reste déjà fait à de nombreuses reprises, mais également, professionnellement. Car si, à l’hôpital, chaque médecin travaille en équipe et sous la supervision d’un supérieur hiérarchique, en cabinet privé, le confort psychologique qu’apporte ce type de structure hiérarchique disparaît, et chaque médecin travaille "sans filet", devant à tout moment faire face à ses responsabilités médicales. Or Freud comme Jones le rappelle, " n’avait qu’une confiance limitée en ses propres capacités médicales et gémissait sans cesse de se sentir aussi maladroit en face de ses malades " [10]. Freud perdait rapidement la confiance qu’il acquérait en lui-même, et avait besoin d’un ami sur qui compter. Il n’avait plus Charcot, ni Brücke, cet appui, il le trouva en la personne de Joseph Breuer.
Et cet appui était d’autant plus crucial, que Freud, en cette année 1886, s’était tout bonnement emmêlé dans la "Confusion ses sentiments" : d’un côté, il ne semblait rechercher que la reconnaissance de ses pères, tandis que de l’autre, il n’aspirait qu’à leur démontrer qu’il était bien meilleur qu’eux. C’est là l’ambivalence même qui conduit généralement le névrosé obsessionnel soumis à un tel conflit œdipien tout droit dans le mur. Nous le savons, c’est grâce à son analyse qu’il put extirper son désir du conflit œdipien où celui-ci restait encore emmêlé. Il s’en fallut cependant de peu pour qu’il ne s’enferme définitivement dans sa propre prison inconsciente, et c’est tout d’abord au travers de son transfert sur Breuer qu’il sut trouver les ressources pour persévérer dans son entreprise : rompre ses propres chaînes.
L’hystérie masculine : le nouveau défi de Freud
Il faut tout d’abord rappeler que Freud avait quitté Vienne, en octobre 1885, en véritable conquérant. Il espérait secrètement qu’à son retour, ses travaux sur la cocaïne lui vaudraient la renommé internationale qu’il convoitait. Or, comme nous l’avons vu, entre-temps - c’est-à-dire durant son séjour à Paris, le vent avait tourné. Il fut tout d’abord surpris de constater qu’il "était l’objet d’attaques toujours plus vives" et qu’on l’accusât "d’avoir favorisé l’apparition d’une nouvelle sorte de toxicomanie" [11].
Mais non content de cela, Freud persiste et signe : il revenait à Vienne avec, dans son sac, un nouveau remède miraculeux qui, cette fois-ci, n’était pas la cocaïne, mais l’hypnose, ainsi qu’avec un nouveau mystère à faire découvrir à ses aînés : l’hystérie masculine.
"Avec sa coutumière ardeur", nous dit Jones [12], Freud se posai désormais en champion enthousiaste des nouvelles idées de Charcot sur l’hystérie et l’hypnotisme, et ce fait n’était guère fait pour améliorer sa réputation. Car Freud se crût en effet obligé de faire savoir à la Société médicale de Vienne, ce qu’il avait découvert à Paris.
C’est le 15 octobre 1886, que Freud présenta à la Société médicale de Vienne son rapport intitulé "De l’hystérie masculine". L’ambiance de cette soirée particulière est magnifiquement bien dépeinte dans le Film réalisé en 1961 par John Huston et dont le scénario fût écrit par Jean-Paul Sartre : "Freud, passions secrètes". On y voit un Montgomery Clift, particulièrement habile dans le rôle d’un Freud maladroit, exposant les vues de Charcot, et tentant de modifier la conception qui prévalait à l’époque dans les milieux médicaux viennois, selon laquelle l’hystérie n’était non seulement qu’une vague simulation, mais surtout, une maladie typiquement féminine.
Or ce soir-là, Freud présente justement un cas d’hystérie traumatique chez un homme qui était tombé d’un échafaudage, et qu’il avait lui-même pu observer à la Salpêtrière. Il s’agit d’un jeune maçon de dix-huit ans, Pinaud, qui après une chute d’environ deux mètres reste sans connaissance. Lorsqu’il reprend conscience, il ne constate que quelques contusions à son genou gauche, mais quelques jours plus tard, il se réveille avec le membre supérieur gauche paralysé. Il finit par atterrir quelques mois plus tard dans le service de Charcot à la Salpetrière [13]
Jones commente l’accueil que reçu l’exposé de Freud de la façon suivante :
" Quand un jeune enthousiaste, un jeune fanatique pourrait-on même dire, vient annoncer à ses aînés dont la plupart ont été ses maîtres qu’ils leur reste beaucoup à apprendre et que lui se prépare à les éclairer, l’inévitable réponse qu’il reçoit est d’ordre défensif, et prend la forme d’une dépréciation ".
Ce soir-là, les auditeurs de Freud ont soit cherché à nier le caractère nouveau de l’information qui leur était présenté, l’hystérie masculine devenant soudain un phénomène bien connu des médecins viennois, soit ont directement cherché à remettre en cause le caractère scientifique et rigoureux de la formation médicale de Freud, lui rappelant que le mot "hystérie" se déduisait étymologiquement de "hysteron", mot grec signifiant "uterus", ce qui excluait par là-même l’idée d’une hystérie masculine.
Freud, si désireux de se faire reconnaître et de brûler les étapes qui devaient inexorablement le conduire vers la célébrité, accuse le coup. En réalité, comme Jones le précise : " […] Rien de notable ne semble s’être produit ce soir-là et Freud aurait pu s’attendre à une telle réception. En pareilles circonstances, cet accueil aurait été aussi froid dans la plupart des cercles médicaux. […] En commentant cet incident, il faut souligner la naïveté du jeune mentor et peut-être son excès de sensibilité aussi bien que le manque d’imagination si évident de ses aînés " [14].
Meynert, chef du service psychiatrique de l’Hôpital de Vienne, finit par demander à Freud d’apporter la preuve de ses affirmations, en le sommant de leur montrer un cas d’hystérie masculine présentant les symptômes typiques décrits par Charcot.
Début novembre, Freud a découvert le cas qu’il s’était, pendant un mois, ardemment employé à rechercher. C’est celui d’un jeune métallurgiste de 29 ans qui, s’étant violemment disputé avec son frère, fut ensuite atteint d’une hémianesthésie avec troubles du champ visuel et du sens de la couleur.
Le cas est présenté par Freud le 26 novembre 1886 à la Société médicale. Si, cette fois, Freud recueille quelques applaudissements, pour Meynert cependant, rien n’y fait : " l’erreur fondamentale de la théorie de Charcot était sa méconnaissance de l’existence d’une petite branche de la carotide interne, l’artère choroïdale !" Meynert reprochait à Charcot d’avoir définitivement entraîné Freud " hors du sentier étroit et borné de la science pure " [15]. Freud adopta quant à lui une attitude de défi, et ses rapports avec Meynert et la Société médicale de Vienne ne s’améliorèrent guère jusqu’au jour où, sur le point de mourir, Meynert, que l’on savait alcoolique, avoua à Freud qu’il se savait lui-même hystérique. Comme Jones le précise, une telle confession après tant d’années, ne fut qu’une "piètre consolation" pour Freud [16].
Freud & l’Hypnose
À cette époque, en Allemagne, il n’y avait guère qu’une poignée de médecins, dont le célèbre Moebius, qui prenait l’hypnotisme au sérieux. La plupart des collègues de Freud, qu’ils soient médecins ou psychiatres, considéraient ce procédé comme une formidable supercherie. Meynert, encore une fois, alla jusqu’à écrire que " l’hypnotisme dégrade l’être humain en en faisant une créature privée de volonté et de raison et qu’il ne peut que hâter sa dégénérescence nerveuse et mentale […]. Il provoque une forme artificielle d’aliénation ". Il comparait l’hypnose à une véritable "épidémie psychique qui sévissait parmi les docteurs", ajoutant, dans sa grande bonté : "J’éprouve certes une commisération sympathique à l’égard de ces confrères qui, peut-être par altruisme, et confiants de leurs premiers succès, s’abaissent jusqu’à assumer le rôle de bonnes d’enfants en assommant les gens par la suggestion pour les faire dormir " [17].
En cette fin de XIXe siècle, la mode était aux traitements électriques qui, comme le rappelle Jones, " furent très en faveur en neurologie, non seulement pour l’établissement du diagnostic, mais davantage encore en tant que fondement même d’une thérapeutique " [18]. Freud, qui avait été formé à l’école classique, connaissait bien le procédé et avait commencé, durant les deux premières années de sa carrière, par appliquer le traitement électrique orthodoxe, qu’il combinait avec des bains et des massages, deux adjuvants qu’il continuera d’ailleurs à prescrire jusqu’en 1895 [19]. Cependant, les névrosés, qui semblaient se multiplier dans les milieux viennois, passaient inlassablement d’un médecin à l’autre, sans qu’une aide visible puisse leur être apporté, malgré le caractère très sophistiqué de l’appareil électrique mis au point par Erb :
" Qui veut vivre du traitement des malades nerveux doit évidemment pouvoir faire quelque chose pour eux. Mon arsenal thérapeutique ne contenait que deux armes : l’électrothérapie et l’hypnose, car l’envoi dans un établissement hydrothérapique après une consultation unique n’était pas une source de gain suffisante. Je m’en rapportai, en ce qui concerne l’électrothérapie, au manuel de W. Erb, qui donnait des prescriptions détaillées sur le traitement de tous les symptômes des maladies nerveuses. Je devais malheureusement bientôt reconnaître que ma docilité à suivre ces prescriptions n’était d’aucune efficacité, que ce que j’avais pris pour le résultat d’observations exactes n’était qu’un édifice fantasmagorique. La découverte qu’un livre signé du premier nom de la neuropathologie allemande n’avait pas plus de rapports à la réalité que, par exemple, une clef des songes "égyptienne" telle qu’on en vend dans nos librairies populaires, fut douloureuse, mais elle m’aida à perdre encore un peu de la naïve croyance aux autorités dont je ne m’étais pas encore rendu indépendant. Je mis donc l’appareil électrique de côté, avant même que Moebius n’ait proféré ces paroles libératrices : les succès du traitement électrique - quand il en est - ne sont dus qu’à la suggestion médicale " [20].
C’est en décembre 1887, que Freud commence à régulièrement utiliser la suggestion hypnotique dans sa propre pratique :
" À Paris, j’avais vu qu’on se servait sans aucune réserve de l’hypnose comme d’une méthode propre à créer et à supprimer ensuite des symptômes chez les malades. Puis nous parvint la nouvelle qu’avait été créée à Nancy une école qui utilisait à des fins thérapeutiques la suggestion avec ou sans hypnose, et ce à une grande échelle et avec un succès particulier. Il arriva ainsi tout naturellement que pendant les premières années de mon activité médicale, et compte tenu des méthodes psychothérapeutiques plutôt occasionnelles et non systématiques, la suggestion hypnotique devint mon principal instrument de travail " [21].
Il lui était déjà arrivé de l’employer occasionnellement, comme avec cette malade italienne, par exemple, prise de convulsions hystériques à chaque fois que l’on prononçait devant elle le mot "pomme", et qu’il avait traité avec succès par l’hypnose au tout début du moins de juin 1886 [22]. Cependant, Freud s’apercevait que, malgré son expérience avec Charcot à la Salpêtrière, il ne réussissait pas toujours à hypnotiser ses patients comme il le souhaitait. Pour améliorer sa pratique, il décide tout d’abord de se replonger dans les livres : en décembre 1887, il signe un contrat avec les éditeurs de Bernheim, en vue de la traduction de deux volumes de l’hypnotiseur français. En mai, il donne deux conférences sur l’hypnotisme et lit également le livre de Forel sur l’hypnose, dont il donnera une présentation détaillée en 1889. C’est du reste Forel, tout comme Benedickt l’avait fait lors de sa visite à Charcot, qui lui donne un mot d’introduction pour Bernheim, lorsque Freud entreprît de parfaire sa technique à Nancy [23] :
" Dans l’intention de perfectionner ma technique hypnotique, je me rendis en été 1889 à Nancy, où je passai plusieurs semaines. Je vis le vieux Liébeault qui était touchant dans le travail qu’il pratiquait sur les femmes et les enfants pauvres de la population ouvrière ; je fus témoin des expériences étonnantes de Bernheim sur ses patients hospitaliers ; et j’en ramenai les impressions les plus prégnantes de la possibilité de processus psychiques puissants, qui ne s’en dérobent pas moins à la conscience de l’homme " [24].
À son retour de Nancy, Freud n’arrive toujours pas à une maîtrise parfaite du procédé et commence à se poser bon nombre de questions sur l’efficacité de cette technique. L’hypnose est-elle véritablement efficace ? Si oui, le procédé ne masquerait-il pas une résistance à l’accès de la véritable cause de la maladie ? À la première question, Freud eut un début de réponse à Nancy, lorsqu’il présenta à Bernheim un cas qu’il n’arrivait pas à hypnotiser :
" J’avais poussé une de mes patients à me suivre à Nancy. C’était une hystérique d’une grande distinction, génialement douée, qu’on avait remise à mes soins, parce qu’on ne savait qu’en faire. Par influence hypnotique, je lui avais permis d’accéder à une existence humaine décente, et j’arrivais toujours à la dégager à nouveau de la misère de ses états. Dans mon ignorance d’alors, j’attribuais le fait qu’elle rechutait chaque fois au bout d’un certain temps, à ce que son hypnose n’avait jamais atteint le degré du somnambulisme avec amnésie. Alors Bernheim s’y essaya à plusieurs reprises, mais sans plus de résultats que moi. Il m’avoua avec franchise qu’il n’arrivait à ses grands succès thérapeutiques par la suggestion que dans sa pratique hospitalière, mais pas avec ses patients privés " [25].
Mais Freud semblait définitivement s’être éloigné de l’hôpital et avait à faire face à une clientèle qui le mettait devant les responsabilités d’un médecin de cabinet privé. Il ne pouvait pas se contenter des remarques de Bernheim et devait impérativement pousser plus loin ses investigations personnelles. Véritable fil conducteur, il remettait sans cesse la question de l’efficacité de l’hypnotisme sur le métier qu’il avait à tisser : le procédé ne masquait-il pas une résistance et l’accès à la véritable cause de la maladie ?
Dans un premier temps de sa pratique, Freud se servait de l’hypnose comme d’un pur procédé suggestif : pour supprimer le ou les états morbides, il mettait ses patients sous influence suggestive et leur émettait cette injonction de supprimer leurs symptômes à leur réveil. Profitant de l’état somnambulique, il leur interdisait tout bonnement d’avoir recourt à leurs symptômes. C’est là l’image d’Épinal que l’on se fait d’un hypnotiseur, et c’est à cette image que Freud s’est conformé dans un premier temps. Cependant, Freud se doutait que ce procédé masquait une résistance à la véritable compréhension de la maladie, et le véritable tour de force de Freud est d’avoir su dénicher cette résistance là où personne d’autre que lui n’aurait pu réussir à la dénicher : chez le médecin lui-même.
En effet, Freud s’aperçut très vite qu’il se complaisait dans le rôle du magicien tout puissant, rôle qui le flattait certes, mais surtout, qui masquait son véritable manque de confiance en lui, qu’on lui connaissait chronique. Bref, en croyant n’enregistrer que des succès, il ne faisait que se mentir à lui-même.
Freud s’est alors livré à une autre utilisation de l’hypnose :
" Je me servais d’elle pour explorer chez le patient l’histoire de la genèse de son symptôme, que souvent, à l’état de veille, il ne pouvait pas communiquer du tout, ou seulement de manière très imparfaite. Non seulement ce procédé paraissait plus efficace que la simple injonction ou interdiction suggestives ; il satisfaisait aussi le désir de savoir du médecin, qui avait tout de même le droit d’apprendre quelque chose de l’origine du phénomène qu’il s’efforçait de supprimer par la monotone procédure suggestive " [26].
Comme nous le voyons, si Freud réussi à reconnaître et à se défaire de son désir de puissance en abandonnant ses injonctions et ses interdictions de magnétiseurs, son autre désir - son désir de savoir -, lui, ne l’a toujours pas quitté, et l’hypnose, de ce point de vue, lui fournissait encore un bénéfice secondaire non négligeable. Certes, c’est ce désir de savoir qui l’aura guidé jusqu’aux portes des grands mystères de l’humain, et comme Jones le souligne, " Freud était certain qu’un grand nombre de mystères se dissimulaient derrière les symptômes manifestes et son imagination, toujours en éveil, brûlait de les éclaircir " [27].
Cependant, ce ne sera qu’à partir du moment où Freud pourra abandonner cette terrible quête sans fin du savoir, que son désir pourra s’émanciper. Et ce n’est qu’une fois son désir libre, que l’homme Freud pourra accueillir les associations qu’il qualifiera alors du même nom, les associations libres, abandonnant par là même définitivement le savoir à ses patients et, surtout, au lieu d’où ils parlent : l’inconscient.
Néanmoins, le chemin était encore long et l’on sait que Freud ne renoncera définitivement à l’hypnose en tant que procédé thérapeutique, qu’en 1896, alors même que quatre ans auparavant, il avait déjà découvert que cet abandon était possible [28].